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Entretien avec David Darmon : quelle place pour l’ESG dans le métier d’investisseur aujourd’hui ?

Publie le 30.11.2022
#dossier

Wendel est une société familiale qui a près de 320 ans d’histoire, dans l’industrie d’abord puis dans l’investissement, est-ce que pour vous l’ESG a été un virage important à prendre ?

David Darmon Je dirais que Wendel a toujours eu un penchant naturel pour l’investissement responsable et que nous avons beaucoup accéléré depuis 2020.

Déjà au 19e siècle, la famille Wendel faisait preuve d’innovation au sein de ses usines. En mêlant bon sens économique et valeurs chrétiennes, elle s’occupait du bien-être de ses employés à une époque où cela n’allait pas de soi. Les cités ouvrières prévoyaient un jardin pour les familles, il y avait des systèmes de sécurité sociale, un système de retraite (l’un des tous premiers), des garderies pour les enfants, des salaires fixés en fonction des grades alors que, ailleurs, l’arbitraire salarial régnait ;

Nous avons aujourd’hui une politique sociale très volontariste chez Wendel (financement des crèches, mutuelles & prévoyance, bilan de santé complet bisannuel). Cela fait partie de notre culture ;

En tant qu’acteur de l’investissement, nous avons toujours privilégié une approche durable (en raison de notre approche long terme) en étant très exigeant sur la performance santé et sécurité, et en partageant la valeur créée chaque fois que possible en cas de cession (primes pour les salariés France de Deutsch en 2012, pour toutes les équipes de CSP en 2018 par exemple) ;

En 2020, nous avons décidé d’accélérer et de faire de l’ESG un trait distinctif : nous avons formalisé une stratégie ESG à deux niveaux (holding et portefeuille). Quelques mots sur cette stratégie : nous ne sommes clairement pas un fond à impact, notre stratégie repose sur notre conviction que la création de valeur durable passe par la mise en oeuvre de changements profonds au sein des sociétés dans lesquelles nous investissons. Notre objectif est d’augmenter avec l’ESG la résilience de leur modèle d’affaires et de les rendre plus attractives pour l’ensemble de leurs parties prenantes. Étant focalisés sur la durabilité des modèles d’affaires, cela nous conduit à investir dans des sociétés bien positionnées à cet égard comme en témoignent les investissements dans CPI et ACAMS, et à accompagner nos sociétés en portefeuille dans leur transition comme avec Stahl ou Constantia Flexibles.

Et concrètement comment l’ESG a-t-elle été intégrée à vos décisions d’investissement ?

D.D. Nous avons intégré l’ESG à tout le cycle d’investissement avec une procédure d’investissement responsable au service de notre raison d’être qui est de « s’associer avec des équipes entrepreneuriales pour bâtir des leader durables ».

Cela commence par une liste d’exclusions : il s’agit de secteurs dans lesquels nous nous interdisons d’investir. Sachant que la liste d’exclusions, c’est le cas simple. Il y a souvent des zones grises sur lesquelles nous débattons : je pense à une opportunité d’investissement dans l’industrie, que notre liste permettait mais que nous n’avons pas poursuivie car l’activité, trop émissive en CO2, n’était pas transformable. Nous revoyons d’ailleurs tous les ans en Directoire cette liste : nous avons ajouté en 2022 la fourrure, l’amiante, et les armes à feu. Nous faisons ensuite une diligence ESG approfondie avant de remettre une offre (l’équipe ESG rencontre le management et participe au Comité d’investissement avant offre ferme). En général ce qui fonctionne le mieux, c’est d’intégrer la diligence ESG à la stratégie, cela permet d’avoir une analyse ESG intégrée à la thèse d’investissement ;

Pendant la période de détention : nous nous engageons à ce que nos sociétés aient une feuille de route ESG dans les 18 mois qui suivent leur acquisition. Ces roadmaps sont construites sur la base des principales conclusions de la diligence et doivent intégrer les quatre priorités ESG définies par Wendel : changement climatique, parité et diversité, santé et sécurité, produits et services durables et/ou écoconçus ;

À la sortie : nous faisons un exit memo ESG et un partage de la valeur créée à chaque fois que cela est possible.

Si on devait faire ressortir des tendances sur l’ESG dans le monde de l’investissement, lesquelles serait-ce ?

D.D. J’identifierais deux tendances :

La première c’est la nécessité d’avoir une donnée certifiée et comparable. C’est d’ailleurs tout l’enjeu des évolutions réglementaires en cours et à venir (Taxonomie et CSRD). Ce défaut de normalisation laisse une grande place aux agences de notations extra-financières. Tous les acteurs cotés cherchent désormais à faire valider leur performance ESG de cette façon. C’est aussi ce que regardent les investisseurs, faute d’avoir des référentiels.

Nous voyons cette tendance comme une opportunité. En effet, en tant qu’investisseur de contrôle de BureauVeritas, nous le constatons de manière très nette : à titre d’exemple, aujourd’hui, plus de 55 % des ventes de Bureau Veritas sont issues de son offre Green line (offre de services permettant aux entreprises d’adresser leurs enjeux de développement durable).

La seconde tendance est, je pense, la priorisation au E de l’ESG et en particulier la lutte contre le changement climatique même si la pandémie et la guerre en Ukraine ont accru la place du S et en particulier la santé et les Droits humains. Et sur cette question, je pense qu’il y a un enjeu très fort sur les stratégies de décarbonation qui doivent être validées scientifiquement. On voit, en effet, de plus en plus d’entreprises engager des démarches de certification SBTi (Science Based Target initiative). Aujourd’hui 75 % de nos sociétés se sont engagées dans cette démarche rigoureuse (seule Constantia est complétement certifiée SBTi).

Nous avons également observé des affaires de greenwashing qui ont eu de forts retentissements et de lourdes conséquences qui, dans une certaine mesure, pourraient semer le doute sur le travail mené par les entreprises en matière d’ESG. Mais à la différence du greenwashing dont on parlait il y a 10-15 ans, aujourd’hui, le greenwashing ce n’est pas de ne pas faire ce que l’on dit mais de mal le faire. Le niveau d’exigence s’est sensiblement accru et va continuer de s’accroitre.